Dans le journal français LIBERATION qui paraitra demain :
Sauvons le peuple grec de ses sauveurs  !
PAR UN COLLECTIF D’INTELLECTUELS ET D’ARTISTES  EUROPÉENS
http://www.liberation.fr/monde/01012391134-sauvons-le-peuple-grec-de-ses-sauveurs
Au moment où un jeune Grec sur deux est au chômage, où 25 000  SDF errent
dans les rues d’Athènes, où 30% de la population est tombée sous  le seuil
de pauvreté, où des milliers de familles sont obligées de placer  leurs
enfants pour qu’ils ne crèvent pas de faim et de froid, où  nouveaux
pauvres et réfugiés se disputent les poubelles dans les  décharges
publiques, les «sauveurs» de la Grèce, sous prétexte que les Grecs  «ne
font pas assez d’efforts», imposent un nouveau plan d’aide qui double  la
dose létale administrée. Un plan qui abolit le droit du travail, et  qui
réduit les pauvres à l’extrême misère, tout en faisant disparaître  du
tableau les classes moyennes.
Le but ne saurait être le «sauvetage»  de la Grèce : sur ce point, tous les
économistes dignes de ce nom sont  d’accord. Il s’agit de gagner du temps
pour sauver les créanciers tout en  menant le pays à une faillite différée.
Il s’agit surtout de faire de la  Grèce le laboratoire d’un changement
social qui, dans un deuxième temps, se  généralisera à toute l’Europe. Le
modèle expérimenté sur les Grecs est celui  d’une société sans services
publics, où les écoles, les hôpitaux et les  dispensaires tombent en ruine,
où la santé devient le privilège des riches,  où les populations
vulnérables sont vouées à une élimination programmée,  tandis que ceux qui
travaillent encore sont condamnés aux formes extrêmes de  la paupérisation
et de la précarisation.
Mais pour que cette offensive  du néolibéralisme puisse arriver à ses fins,
il faut instaurer un régime qui  fait l’économie de droits démocratiques
les plus élémentaires. Sous  l’injonction des sauveurs, on voit donc
s’installer en Europe des  gouvernements de technocrates qui font fi de la
souveraineté populaire. Il  s’agit d’un tournant dans les régimes
parlementaires où l’on voit les  «représentants du peuple» donner carte
blanche aux experts et aux banquiers,  abdiquant leur pouvoir décisionnel
supposé. Un coup d’Etat parlementaire en  quelque sorte, qui fait aussi
appel à un arsenal répressif amplifié face aux  protestations populaires.
Ainsi, dès lors que les députés ont ratifié la  convention dictée par la
troïka (l’Union européenne, la Banque centrale  européenne et le Fonds
monétaire international), diamétralement opposée au  mandat qu’ils avaient
reçu, un pouvoir dépourvu de légitimité démocratique  aura engagé l’avenir
du pays pour trente ou quarante  ans.
Parallèlement l’Union européenne s’apprête à constituer un compte  bloqué
où serait directement versée l’aide à la Grèce afin qu’elle soit  employée
uniquement au service de la dette. Les recettes du pays devraient  être en
«priorité absolue» consacrées au remboursement de créanciers, et,  si
besoin est, directement versées à ce compte géré par l’Union  européenne.
La convention stipule que toute nouvelle obligation émise dans  son cadre
sera régie par le droit anglais, qui engage des garanties  matérielles,
alors que les différends seront jugés par les tribunaux du  Luxembourg, la
Grèce ayant renoncé d’avance à tout droit de recours contre  une saisie
décidée par ses créanciers. Pour compléter le tableau, les  privatisations
sont confiées à une caisse gérée par la troïka, où seront  déposés les
titres de propriété de biens publics. Bref, c’est le pillage  généralisé,
trait propre du capitalisme financier qui s’offre ici une  belle
consécration institutionnelle. Dans la mesure où vendeurs et  acheteurs
siégeront du même côté de la table, on ne doute guère que cette  entreprise
de privatisation soit un vrai festin pour les  repreneurs.
Or toutes les mesures prises jusqu’à maintenant n’ont fait  que creuser la
dette souveraine grecque et, avec le secours de sauveurs qui  prêtent à des
taux usuraires, celle-ci a carrément explosé en approchant des  170% d’un
PIB en chute libre, alors qu’en 2009 elle n’en représentait encore  que
120%. Il est à parier que cette cohorte de plans de sauvetage - à  chaque
fois présentés comme «ultimes» - n’a eu d’autre but que  d’affaiblir
toujours davantage la position de la Grèce de sorte que, privée  de toute
possibilité de proposer elle-même les termes d’une restructuration,  elle
soit réduite à tout céder à ses créanciers sous le chantage de  «la
catastrophe ou l’austérité».
L’aggravation artificielle et  coercitive du problème de la dette a été
utilisée comme une arme pour prendre  d’assaut une société entière. C’est à
bon escient que nous employons ici des  termes relevant du domaine
militaire : il s’agit bel et bien d’une guerre  conduite par les moyens de
la finance, de la politique et du droit, une  guerre de classe contre la
société entière. Et le butin que la classe  financière compte arracher à
«l’ennemi», ce sont les acquis sociaux et les  droits démocratiques, mais
au bout du compte, c’est la possibilité même d’une  vie humaine. La vie de
ceux qui ne produisent ou ne consomment pas assez au  regard des stratégies
de maximisation du profit, ne doit plus être  préservée.
Ainsi, la faiblesse d’un pays pris en étau entre la  spéculation sans
limites et les plans de sauvetage dévastateurs, devient la  porte dérobée
par où fait irruption un nouveau modèle de société conforme aux  exigences
du fondamentalisme néolibéral. Modèle destiné à toute l’Europe et  plus si
affinités. C’est le véritable enjeu et c’est pour cela que défendre  le
peuple grec ne se réduit pas à un geste de solidarité ou  d’humanité
abstraite : l’avenir de la démocratie et le sort des peuples  européens
sont en question. Partout la «nécessité impérieuse» d’une  austérité
«douloureuse, mais salutaire» va nous être présentée comme le  moyen
d’échapper au destin grec, alors qu’elle y mène tout  droit.
Devant cette attaque en règle contre la société, devant la  destruction des
derniers îlots de la démocratie, nous appelons nos  concitoyens, nos amis
français et européens à s’exprimer haut et fort. Il ne  faut pas laisser le
monopole de la parole aux experts et aux politiciens. Le  fait qu’à la
demande des dirigeants allemands et français en particulier la  Grèce soit
désormais interdite d’élections peut-il nous laisser indifférents  ? La
stigmatisation et le dénigrement systématique d’un peuple européen  ne
mériteraient-ils pas une riposte ? Est-il possible de ne pas élever  sa
voix contre l’assassinat institutionnel du peuple grec ? Et  pouvons-nous
garder le silence devant l’instauration à marche forcée d’un  système qui
met hors la loi l’idée même de solidarité sociale ?
Nous  sommes au point de non-retour. Il est urgent de mener la bataille  des
chiffres et la guerre des mots pour contrer la rhétorique ultralibérale  de
la peur et de la désinformation. Il est urgent de déconstruire les  leçons
de morale qui occultent le processus réel à l’œuvre dans la société.  Il
devient plus qu’urgent de démystifier l’insistance raciste sur  la
«spécificité grecque», qui prétend faire du caractère national  supposé
d’un peuple (paresse et roublardise à volonté) la cause première  d’une
crise en réalité mondiale. Ce qui compte aujourd’hui ne sont pas  les
particularités, réelles ou imaginaires, mais les communs : le sort  d’un
peuple qui affectera tous les autres.
Bien des solutions  techniques ont été proposées pour sortir de
l’alternative «ou la destruction  de la société ou la faillite» (qui veut
dire, on le voit aujourd’hui : «et la  destruction et la faillite»). Toutes
doivent être mises à plat comme éléments  de réflexion pour la construction
d’une autre Europe. Mais d’abord il faut  dénoncer le crime, porter au
grand jour la situation dans laquelle se trouve  le peuple grec à cause des
«plans d’aide» conçus par et pour les spéculateurs  et les créanciers. Au
moment où un mouvement de soutien se tisse autour du  monde, où les réseaux
d’Internet bruissent d’initiatives de solidarité, les  intellectuels
français seraient-ils donc les derniers à élever leur voix pour  la Grèce ?
Sans attendre davantage, multiplions les articles, les  interventions dans
les médias, les débats, les pétitions, les manifestations.  Car toute
initiative est bienvenue, toute initiative est urgente.
Pour  nous, voici ce que nous proposons : aller très vite vers la formation
d’un  comité européen des intellectuels et des artistes pour la solidarité
avec le  peuple grec qui résiste. Si ce n’est pas nous, ce sera qui ? Si ce
n’est pas  maintenant, ce sera quand ?
Vicky Skoumbi, rédactrice en chef de la revue  «Alètheia», Athènes, Michel
Surya, directeur de la revue «Lignes», Paris,  Dimitris Vergetis, directeur
de la revue «Alètheia», Athènes. Et : Daniel  Alvara,Alain Badiou,
Jean-Christophe Bailly, Etienne Balibar, Fernanda  Bernardo, Barbara
Cassin, Bruno Clément, Danielle Cohen-Levinas, Yannick  Courtel, Claire
Denis, Georges Didi-Huberman, Roberto Esposito, Francesca  Isidori,
Pierre-Philippe Jandin, Jérôme Lèbre, Jean-Clet Martin, Jean-Luc  Nancy,
Jacques Rancière, Judith Revel, Elisabeth Rigal, Jacob Rogozinski,  Hugo
Santiago, Beppe Sebaste, Michèle Sinapi, Enzo Traverso
Solidarity with the Greek people ! I, too, am Greek ! ////////////////// LANGUES/LANGUAGES : <> Ελληνικά / Grec / Greek <> FRANCAIS / γαλλικά / French <> ENGLISH / Αγγλικά / Anglais <> NEDERLANDS / ολλανδικά / Néerlandais / Dutch <> PORTUGUÊS / Πορτογαλικά / Portugais / Portuguese <> ESPAÑOL / Ισπανικά / Espagnol / Spanish <>ITALIANO / Iταλικά / Italien /Italian /<> DEUTSCH / γερμανικά / allemand / german <>
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire